Le blogue de Richard Hétu

Invité mercredi à comparaître devant le Congrès, le procureur Aaron Zelinsky jouera les lanceurs d’alerte et accusera les plus hauts responsables du département de la Justice américain d’être intervenu pour réduire la peine d’emprisonnement de Roger Stone, fidèle allié de Donald Trump, pour des raisons purement politiques. «Ce que j’ai entendu – de façon répétée – est que Roger Stone était traité différemment de tout autre accusé en raison de sa relation avec le président», dira Zelinsky selon le texte de sa déclaration préliminaire dont certains médias, dont le New York Times et le Washington Post, ont obtenu copie.

Aaron Zelinsky est l’un des quatre procureurs fédéraux qui ont recommandé à une juge de Washington en février dernier d’infliger à Roger Stone une peine d’emprisonnement de sept à neuf ans pour avoir notamment menti au Congrès dans le cadre de son enquête sur l’ingérence russe dans l’élection présidentielle de 2016. Lui et ses collègues se sont retirés du dossier après l’intervention de hauts placés au sein du département de la Justice qui ont requis une peine de prison comprise entre trois et quatre ans pour Roger Stone.

Cette intervention est survenue après le remplacement du procureur fédéral du district de Columbia, Jessie Liu, par Timothy Shea, homme de confiance du procureur général des États-Unis, William Barr. Dans son témoignage, Aaron Zelinsky entend dire que Shea a fait l’objet d’une «forte pression venant du plus haut niveau au département de la Justice pour qu’il aide Roger Stone». Zelinsky ajoutera que Shea a obéi parce qu’il avait «peur du président».

Aaron Zelinsky témoignera devant la commission judiciaire de la Chambre des représentants avec John Elias, un responsable de la division anti-monopole du département de la Justice. Ce dernier décrira les pressions politiques exercées par William Barr pour obtenir l’introduction injustifiée selon lui de certaines actions en justice, dont l’une visait des États ayant signé un pacte pour combattre les émissions de CO2 des voitures neuves.

Zelinsky et Elias sont considérés comme des lanceurs d’alerte et doivent jouir de la protection conséquente. À moins d’une surprise, ils ne diront cependant rien que l’on ne sache déjà sur Bill Barr, un des personnages les plus troublants de l’histoire politique contemporaine aux États-Unis. Ils ne contribueront pas non plus au lancement d’une procédure de destitution visant ce procureur général sulfureux, car les démocrates du Congrès estiment que l’approche des élections de novembre rend une telle démarche impossible ou futile.

Mais ils ajouteront au sombre portrait de cet homme qui est censé appliquer les lois et qui semble plutôt être prêt à les violer pour protéger Donald Trump.

Roger Stone, rappelons-le, doit commencer à purger sa peine de 40 mois de prison le 30 juin. Il tente ces jours-ci de convaincre la juge Amy Berman Jackson de reporter à septembre son entrée en prison en raison du coronavirus.

Un autre mot sur Stone. La semaine dernière, le site BuzzFeed a obtenu la portion du rapport de Robert Mueller sur l’enquête russe qui le concernait et qui était caviardée lors de la publication originale du document. On y apprend que Stone a bel et bien informé Donald Trump à l’avance de la publication par WikiLeaks de courriels susceptibles de nuire à Hillary Clinton. On y apprend également que Mueller se doutait que le président lui avait menti en déclarant par écrit ne pas se souvenir de la nature de ses conversations avec Stone pendant la campagne présidentielle.

Encore là, rien de vraiment surprenant. Reste à voir si ceux qui bafouent l’État de droit pourront continuer à le faire au-delà du 20 janvier 2021.

(Photo Getty Images)