Le blogue de Richard Hétu

En avril dernier, la juge du comté de Milwaukee Janet Protasiewicz a remporté ce qui était alors considéré comme le plus important scrutin de 2024. Elle a éclipsé un juriste conservateur de Waukesha, Daniel Kelly, par 11 points de pourcentage, dans une élection qui a fait basculer à gauche la majorité de la Cour suprême du Wisconsin pour la première fois en 15 ans. Un seul mot pouvait expliquer un tel écart dans un État où les élections se jouent habituellement dans un mouchoir de poche : avortement. Or, avant même que la juge Protasiewicz n’ait entendu une premier cause dans son nouveau rôle, les parlementaires républicains de l’État menacent de lancer une procédure en destitution contre elle.

Pardon ? Vous avez bien lu. Forts d’une super majorité dans les deux chambres du parlement du Wisconsin, les républicains somment la juge Protasiewicz de se récuser d’une affaire mettant en cause les cartes électorales de l’État, qui sont au « gerrymandering » ce que la chapelle Sixtine est à l’art : le nec plus ultra. Ils estiment que la magistrate ne peut juger cette affaire, ayant déclaré lors de sa campagne que les cartes électorales du Wisconsin étaient « truquées ». Et ils promettent de lancer une procédure en destitution la visant si elle ne se récuse pas.

Protasiewicz n’a pas commenté cet ultimatum, mais elle a rendu publique cette semaine une lettre de la Commission judiciaire du Wisconsin, organisme indépendant chargé d’enquêter sur les plaintes déposées contre les juges. Dans cette lettre, la Commission rejette les plaintes selon lesquelles elle aurait violé le code de déontologie judiciaire de l’État en exprimant ses « opinions personnelles » sur l’avortement et les cartes électorales du Wisconsin.

Mais il n’y a pas que Michel-Ange qui serait impressionné par les républicains du Wisconsin. Machiavel le serait aussi. Selon un plan expliqué par le commentateur conservateur du Wisconsin Charlie Sykes, ils ont l’intention de mettre en accusation la juge Protasiewicz, ce qui requiert seulement une majorité simple à la Chambre des représentants de l’État, sans cependant aller plus loin dans la procédure en destitution, qui nécessite normalement un procès devant le Sénat.

Pour comprendre cette entourloupette, il faut savoir que la mise en accusation de la juge libérale suffirait pour la mettre à l’écart pour une période indéterminée. Il faut aussi savoir que le gouverneur démocrate du Wisconsin Tony Evers pourrait remplacer Protasiewicz par une autre juge libérale si elle était destituée. Or, une Cour suprême où siègent seulement trois juges libéraux et trois juges conservateurs ne serait pas en mesure de changer le statu quo non seulement sur les cartes électorales mais également sur l’avortement, qui est présentement interdit au Wisconsin en vertu d’une loi datant de 1849.

Plutôt que de rester dans les limbes, la juge Protasiewicz pourrait démissionner après avoir été mise en accusation. Le gouverneur Evers pourrait alors la remplacer par une juge libérale, qui devrait défendre son siège à l’occasion d’une élection spéciale tenue en avril prochain, le jour de la primaire républicaine du Wisconsin pour l’élection présidentielle de 2024.

Les républicains pensent sans doute que cette primaire leur assurerait une plus grande participation des électeurs de leur parti à l’élection spéciale. Mais la question de l’avortement ne serait plus la seule en jeu à l’occasion de cette élection spéciale. Celle de la démocratie le serait également.

Reste à voir si les républicains mettront leur plan machiavélique à exécution.

(Photo AP)