Le blogue de Richard Hétu

Dans le but d’influencer les élections présidentielles de 2016, les trolls russes ont misé sur les divisions qui existent au sein de la société américaine en visant principalement deux groupes: les conservateurs et les Afro-Américains. C’est ce qui ressort de l’examen de millions de publications diffusées sur les réseaux sociaux par deux ensembles de chercheurs à la demande de la commission du Renseignement du Sénat.

Deux rapports sur la campagne de désinformation menée par les Russes devraient être rendus publics aujourd’hui par cette commission. Il s’agit sans doute du travail le plus complet levant le voile sur la stratégie du Kremlin produit jusqu’à présent.

Le premier rapport a été réalisé par le Computational Propaganda Project de l’Université Oxford avec l’appui de la firme Graphika. Le Washington Post, qui a obtenu à l’avance un exemplaire du document de travail du groupe en a publié des extraits hier.

«Ce qui est clair, c’est que le ton de la campagne visait clairement à favoriser le Parti républicain — et plus spécifiquement Donald Trump», peut-on lire dans le rapport. «Trump est davantage mentionné dans les campagnes qui ciblaient les conservateurs et les électeurs de la droite. Les groupes contre Trump ont quant à eux été ciblés par des messages visant à créer la confusion et la confusion, afin de les décourager à se rendre aux urnes.»

Ce rapport révèle aussi qu’outre Facebook et Twitter, la campagne de désinformation des Russes s’est déployée sur l’ensemble des réseaux sociaux. Pour la première fois, le rôle de YouTube (qui appartient à Google) et d’Instagram (qui appartient à Facebook) a fait l’objet d’une analyse détaillée. Même le site Pinterest, ce grand babillard web qui sert généralement à collectionner des photos de recettes ou de tendances mode ou déco, aurait été utilisé dans l’effort russe.

Sur le site de partage d’images Instagram, par exemple, les Russes ont opéré 133 comptes, articulés principalement autour des concepts d’appartenance ethnique ou culturelle. Les publications Instagram ayant eu le plus grand nombre de partages sont celles qui abordaient les thèmes interpellant la communauté afro-américaine sans toutefois trop tomber dans les sujets politiques comme, par exemple, celui de la «fierté noire».

De son côté, le New York Times a mis la main, ce matin, sur le second rapport, produit par la firme de cybersécurité New Knowledge, en partenariat avec des chercheurs de l’Université Columbia et de Canfield Research LLC.

Le rapport accorde beaucoup d’importance à l’effort déployé pour dissuader les Afro-Américains, qui votent majoritairement pour le Parti démocrate, de se rendre aux urnes.

«Les efforts les plus prolifiques sur Facebook et Instagram ciblaient spécifiquement les communautés noires afin de développer un auditoire et même de recruter des Afro-Américains comme atouts russes», souligne le rapport, en ajoutant que des activistes avaient parfois été payés, parfois recrutés à leur insu pour organiser des manifestations ou répandre du contenu russe sur leurs propres réseaux sociaux.

Sur YouTube, par ailleurs, la majorité des vidéos produites par les Russes traitaient du mouvement Black Lives Matter et de l’enjeu de la brutalité policière.

La campagne de désinformation russe de 2016 a été orchestrée par la Internet Research Agency (IRA), une entreprise appartenant à Yevgeny V. Prigozhin, un proche du président Vladimir Putin.

Selon le rapport, des 81 pages Facebook créées par l’IRA, 30 visaient les Afro-Américains, 25 la droite américaine et seulement sept, la gauche.

«Alors que les pages de la droite moussaient la candidature de Trump, les pages de la gauche s’en prenaient à Hillary Clinton tout en appuyant le sénateur du Vermont Bernie Sanders ou Jill Stein, la candidate du Parti vert. L’effort de suppression du vote était principalement articulé autour des supporters de Sanders et des Afro-Américains. On les exhortaient à rejeter Mme Clinton et de sortir voter pour Mme Stein ou de ne pas sortir voter du tout», a expliqué l’article du New York Times.

(Illustration Shutterstock)