Le blogue de Richard Hétu

Les plus âgés parmi les lecteurs de ce blogue se souviendront de Kenneth Starr, procureur «indépendant» chargé de l’enquête sur l’affaire Whitewater qui a débouché sur l’affaire Clinton-Lewinsky et l’impeachment de Bill Clinton en 1998. Le juriste conservateur avait transformé une relation sexuelle inappropriée entre le président des États-Unis et une ex-stagiaire de la Maison-Blanche en affaire d’État en employant le zèle d’un Javert qui aurait hérité du pire puritanisme américain.

Depuis cet épisode, l’hypocrisie de cet homme a été dénoncée à maintes reprises. Elle s’est manifestée notamment à l’époque où il était président de l’Université Baylor, poste dont il a été congédié dans la foulée d’un scandale sexuel impliquant des joueurs de l’équipe de football, et plus récemment lors de la présidence de Donald Trump, dont il a défendu devant le Sénat les mensonges et les accrocs à la loi, cette chère loi qu’il disait vouloir protéger dans l’affaire Clinton-Lewinsky en accusant Clinton de s’être parjuré à propos d’un cigare et d’une pipe.

Mais pour prendre la pleine mesure de l’hypocrisie de Kenneth Starr, il faut lire le témoignage hallucinant de celle qui a été sa conseillère pendant plus de 20 ans et sa maîtresse pendant un peu plus d’une année. Dans un texte publié sur le site Medium, Judi Hershman explique comment celui qu’elle a longtemps considéré comme un mentor a minimisé les écarts de Brett Kavanaugh envers les femmes et tourné le dos à ses beaux principes religieux en servant au sein de l’équipe d’avocats qui a permis à Jeffrey Epstein d’éviter un procès fédéral pour trafic sexuel de mineures.

Je cite deux paragraphes concernant l’expérience de Hershman avec Kavanaugh :

«J’avais rencontré Kavanaugh en 1998, alors qu’il était un membre âgé de 33 ans de l’équipe du procureur indépendant Starr qui enquêtait sur Bill Clinton, et que j’étais une conseillère en communication stratégique de 39 ans engagée pour aider à préparer Starr à présenter au Congrès son légendaire rapport détaillant les interactions sexuelles du président Bill Clinton avec une certaine Monica Lewinsky. Un jour, après une réunion dans les bureaux du procureur indépendant, j’étais seule dans une salle de conférence à rassembler des documents lorsque Kavanaugh est entré. Il a commencé à me réprimander et à envahir mon espace personnel dans une fureur démente qui m’a fait courir autour de la table.

«Après que j’ai invoqué le ‟juge Starr” à plusieurs reprises, un Kavanaugh dégonflé est parti, mais je me suis sentie obligée de signaler l’incident à Starr. En tant qu’un de mes clients, il devait être informé de tout ce qui pouvait déclencher un signal d’alarme, et mon pouls me disait que c’en était un. Starr a réagi avec une surprise apparente, en disant que Brett était probablement en train de le protéger, et qu’en outre il était destiné à de grandes choses – peut-être à la Cour suprême. ‟Pas s’il traite les femmes comme ça, il n’y parviendra pas”, ai-je répondu. J’ai alors demandé à Ken de demander des excuses à Brett en mon nom et il m’a répondu : ‟Je m’excuse auprès de vous pour lui. C’est tout.”»

Hershman s’est souvenue de l’agression verbale dont elle dit avoir été victime lorsqu’elle a vu la défense rageuse de Kavanaugh face à l’accusation d’agression sexuelle dont il a fait l’objet lors de sa confirmation devant le Sénat pour le poste de juge à la Cour suprême. «J’ai réalisé que sa belligérance presque féroce dans cette salle de conférence, plus de 20 ans auparavant, n’était pas un cas isolé», écrit-elle. «Après un week-end sans sommeil où j’ai fait les cent pas, planifié et pleuré de pur malaise face à ce qui arrivait à mon pays, j’ai soumis une déclaration décrivant l’incident à deux sénateurs démocrates et deux républicains, dont Jeff Flake, le sénateur de l’Arizona qui avait réussi à reporter le vote sur Kavanaugh jusqu’à ce que le FBI mène une enquête sur les accusations croissantes qui étaient bien plus graves que les miennes.»

Hershman a également demandé à Starr de faire pression auprès de Kavanaugh pour qu’il retire sa candidature. Starr a évidemment ignoré sa demande. Et il s’apprête à participer ce week-end au Family Leadership Summit en Iowa, où la fine fleur du fondamentalisme chrétien se réunira, y compris les aspirants à la Maison-Blanche Mike Pence et Mike Pompeo.

Et Judi Hershman d’écrire : «Il m’a fallu 20 ans pour sortir la tête du sable proverbial, mais je vois clairement maintenant tout le mal que Ken Starr a fait depuis les années 1990 et maintenant au-delà, alors qu’il s’efforce de monter à bord du train de Mike Pence. Le voir prêter sa piété à un président qui ment tellement qu’il était considéré par ses anciens avocats comme une machine à parjure ambulante, ainsi que sa campagne moralisatrice ‟Religious Liberty in Crisis” qu’il mène actuellement dans tout le pays, a rendu mon histoire soudainement urgente. Ce n’est pas seulement l’hypocrisie, c’est le dommage que l’autorité morale factice de Starr a causé à notre nation, à nos concitoyens, et vous vous souvenez de ces enfants que son client a séparés de leurs parents et mis en cage à la frontière?

«Je ne sais pas si Ken mentira à propos de sa relation sexuelle avec moi. On peut supposer qu’il ne mentirait pas à ce sujet sous serment après qu’un président ait été mis en accusation pour avoir fait la même chose. Mais comme Ken, je crois en Dieu, et Dieu sera sûrement prêt avec une liste de questions ‟Judi mentirait-elle si elle disait…” comme celles auxquelles il a forcé un président en exercice à répondre devant le monde entier. Les questions inexplicablement vulgaires qui ont été posées à un Bill Clinton disgracié et au visage rouge – sur les cigares et le sexe oral – ont été, bien sûr, écrites par un jeune Brett Kavanaugh, qui est maintenant l’héritage de Starr à la Cour suprême.»

(Photos AFP et capture d’écran)