Le blogue de Richard Hétu

Pourquoi Vladimir Poutine et son régime ont-ils permis à Evguéni Pregojine de critiquer les dirigeants militaires russes en des termes virulents pendant des mois sans lui fermer le caquet ? Pourquoi ont-ils paru si désemparés lors de la mutinerie du groupe paramilitaire, au point d’accepter une entente pour dénouer celui qu’on appelle l’homme fort du Kremlin avait décrit comme une trahison ? La réponse à ces questions se résume peut-être à un mot russe : bardak.

Mon russe étant nul, j’ai découvert le sens de ce mot en lisant une analyse d’Anton Troianoski, qui était correspondant du New York Times à Moscou avant de quitter la Russie au début de l’invasion d’Ukraine. Analyse portant sur les questions brûlantes que la révolte du groupe Wagner soulève concernant le pouvoir de Poutine (lien gratuit).

« Deux personnes proches du Kremlin, s’exprimant sous le couvert de l’anonymat pour évoquer des questions politiques sensibles, ont décrit la crise comme étant avant tout le produit d’un système de gouvernance dysfonctionnel frôlant le chaos, situation que résume le mot russe bardak », écrit le journaliste.

Cette situation ne se limite pas seulement aux événements du 23 et 24 juin, mais également à ces mois où Prigogine a diffusé ses critiques à l’emporte-pièce à l’endroit du ministre de la Défense et du chef d’état major de l’armée russe. De confier à Troinakoski un membre du parlement russe : « Il s’agit d’une question plutôt négligée. [Le risque posé par Prigojine] n’a pas été diagnostiqué à temps – peut-être dans l’espoir qu’il se résorberait de lui-même. »

On connaît la suite. En fait, on ne la connaît pas tout à fait. On ne sait pas où est Prigojine, par exemple. Et on lit que l’enquête pénale concernant la mutinerie de son groupe n’aurait pas été close.

Le mot bardak ne résume vraisemblablement pas seulement ce qui se passe au Kremlin. Il servira peut-être aussi à comprendre la façon dont l’armée russe s’est comportée en Ukraine.

P.S. : Dans une série d’interviews télévisées dimanche, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a estimé que la mutinerie du groupe Wagner avait révélé des « fissures réelles » au sommet du pouvoir russe. « Cela a défié directement l’autorité de Poutine. Donc cela soulève de vraies questions et révèle des fissures réelles », a-t-il dit sur CBS. Il a ajouté que l’Ukraine pourrait profiter de la situation « dans la mesure où l’attention de la Russie est détournée ». Mais il est trop tôt pour tirer de grandes conclusions de cet épisode qu’il a qualifié d’« extraordinaire ».

(Photo AFP/Getty Images)