Le blogue de Richard Hétu

Vous vous en souvenez peut-être : les démocrates célébraient encore la réélection du sénateur de Géorgie Raphael Warnock sur Herschel Walker, qui leur donnait une vraie majorité de 51 sièges à la chambre haute du Congrès, quand la sénatrice d’Arizona Kyrsten Sinema les a fait déchanter d’un coup sec. Le 9 décembre dernier, soit trois jours après le scrutin de Géorgie, l’énigmatique politicienne annonçait qu’elle quittait le Parti démocrate pour siéger en tant qu’indépendante. Elle ne mettait pas directement ou immédiatement en danger cette majorité de 51 sièges, mais elle introduisait un élément d’incertitude en braquant les projecteurs sur sa personnalité imprévisible. Mais elle n’avait pas fini de faire rager les démocrates. Pour s’en convaincre, il faut lire un article de Politico signé par l’ex-journaliste du New York Times Jonathan Martin. Aïe !

On y apprend notamment que Sinema ne se gêne pas pour ridiculiser les démocrates lors de ses rencontres avec des lobbyistes, donateurs ou élus républicains. Lors d’une de ces rencontre, elle a expliqué pourquoi elle n’assistait plus aux lunchs bi-hebdomadaires du groupe démocrate au Sénat, où les élus de la majorité fraternisent et échangent sur la stratégie à adopter sur divers sujets.

« Ces lunchs étaient ridicules » a-t-elle confié à un petit groupe de lobbyistes républicains lors d’une réception à Washington cette année, selon un participant. « Les vieux mecs mangent du jello, tout le monde s’autocongratule. Je n’ai pas vraiment besoin d’être là pour ça. C’est une heure et demie deux fois par semaine que je peux récupérer. »

Et d’ajouter : « Les sénateurs du Nord et de l’Ouest mettent de la crème fraîche sur leur jello, et ceux du Sud du fromage cottage. »

Après avoir soutiré des éclats de rire à son auditoire, Sinema a expliqué qu’elle préférait faire progresser ses dossiers plutôt que de perdre son temps avec ces « lunchs stupides ».

Martin estime que l’anecdote tend à confirmer le jugement d’un sénateur démocrate centriste à propos de Sinema : « C’est la plus grande égocentrique du Sénat. »

Martin précise que Sinema ne cache pas davantage son mépris pour Chuck Schumer, le chef de la majorité au Sénat, ou pour les dirigeants de la Maison-Blanche. Il raconte notamment qu’elle a déjà fait un doigt d’honneur devant des lobbyistes et élus républicains en voulant exprimer ce qu’elle pensait de l’ex-chef de cabinet de la Maison-Blanche Ron Klain.

Sinema est beaucoup plus amène lorsqu’elle s’adresse aux riches donateurs de l’industrie financière. Selon Martin, l’un d’eux, qui soutient normalement des candidats républicains, a remercié la sénatrice pour ce qu’elle et son collègue de Virginie-Occidentale Joe Manchin avaient fait pour empêcher le Sénat d’éliminer des cadeaux fiscaux de l’ère Trump. « Sans vous, nos impôts auraient explosé », a dit le donateur. Et Sinema de répondre : « C’est vrai. »

Martin écrit que Sinema est si proche des bonzes du capital-investissement que la Maison-Blanche tente parfois de recruter l’un d’eux pour lui demander de convaincre la sénatrice du bienfondé d’une politique donnée.

Cette proximité fait en sorte que Sinema est assise sur une somme d’argent considérable pour sa prochaine campagne. Mais, selon Martin, certains observateurs ne sont pas certains qu’elle veuille continuer à se contenter de son maigre salaire de sénatrice, ayant semble-t-il pris goût aux hôtels de luxe, aux vols nolisés et aux chauffeurs privés.

Sinema n’a pas encore indiqué si elle sollicitera un deuxième mandat en 2024. Certains républicains espèrent que Mitch McConnell signera avec elle une sorte de pacte de non-agression qui faciliterait la réélection de Sinema comme indépendante et ouvrirait la voie à sa décision de joindre le groupe républicain au Sénat. McConnell ne serait pas trop chaud à cette idée.

Quant aux démocrates, ils se gardent de critiquer Sinema en public, car elle continue à voter la plupart du temps avec eux. Mais certains d’entre eux verront rouge en lisant l’article de Martin, qui contient plusieurs autres déclarations ahurissantes.

(Photo AP)