Le blogue de Richard Hétu

Si le sénateur démocrate Raphael Warnock avait défendu son siège ailleurs que dans le Sud profond, il serait aujourd’hui assuré de représenter son État pendant les six prochaines années à la chambre haute du Congrès. Après tout, il a récolté 49,42 % des voix contre 48,52 % pour son rival républicain, Herschel Walker. Or, n’ayant pas franchi le seuil des 50 % des voix nécessaire pour être élu dès le premier tour, il affrontera de nouveau Walker à l’occasion d’un second tour de scrutin, le 6 décembre. Pourquoi ? La réponse courte : à cause du passé raciste de la Géorgie.

Jusqu’en 1962, la Géorgie avait un système électoral unique destiné à réduire le poids électoral des Noirs. L’État choisissait ses élus les plus importants – gouverneur, sénateur, procureur général, etc – par le biais d’un collège électoral semblable à celui qui élit le président. Ce système donnait donc un poids électoral disproportionné aux électeurs blancs des régions rurales au détriment des électeurs noirs des villes, dont Atlanta.

En 1963, la Cour suprême des États-Unis a invalidé ce système, jugeant qu’il violait le 14e amendement de la Constitution et le principe « une personne, un vote ». C’est alors que la Géorgie a adopté le système électoral à deux tours déjà en vigueur dans les autres États du Sud profond, de même qu’au Texas.

L’idée était d’empêcher les nombreux électeurs noirs de Géorgie de participer à l’élection d’un candidat issu de leur communauté en votant en bloc pour lui, alors que les électeurs blancs diviseraient leurs votes parmi plusieurs candidats blancs. Un tel candidat noir serait élu par une pluralité et non une majorité des électeurs.

Le deuxième tour devant donc assurer la présence d’au moins un candidat blanc, qui serait alors assuré de la victoire en raison du poids électoral des Blancs, ce qui s’est produit jusqu’à l’élection de Raphael Warnock lors du second tour de l’élection sénatoriale de 2020.

Denmark Groover, l’un des architectes de ce système, a plus tard admis que son combat n’était pas lié à l’idéal démocratique mais au raciste : « Si vous voulez établir que j’avais des préjugés raciaux, j’en avais. Si vous voulez établir que certaines de mes activités politiques étaient motivées par le racisme, elles l’étaient. »

L’ironie veut que le second tour de l’élection sénatoriale de Géorgie mette aux prises deux candidats noirs. Selon un sondage réalisé à la sortie des urnes mardi, Warnock a reçu 90 % du vote des Noirs, qui représentent 28 % de l’électorat, alors que Walker a récolté 70 % du vote des Blancs, qui représentent 62 % de l’électorat.

De commenter une électrice noire : « Je ne comprends pas. Warnock a fait du bon travail. Il a montré qu’il était qualifié. Herschel Walker ? Je ne vois pas comment même les républicains peuvent dire qu’ils se soucient de la Géorgie et voter pour lui. »

P.S. : À en juger par ce gourou réputé des données, le deuxième tour en Géorgie pourrait ne pas être décisif pour le contrôle du Sénat :

After last night's NV mail ballot trend, excellent chance now that Dems will have 50 Senate seats/control in hand heading into the GA runoff.

— Dave Wasserman (@Redistrict) November 10, 2022

(Photos Reuters)