Le blogue de Richard Hétu

Après la publication par le site d’information Politico de l’avant-projet d’une décision majoritaire de la Cour suprême renversant l’arrêt « Roe c. Wade », de nombreux conservateurs ont désigné comme responsables probables la juge progressiste Sonia Sotomayor ou son entourage. Après tout, les plus farouches partisans du droit des femmes à l’avortement n’auraient-ils pas intérêt à provoquer une esclandre autour d’une décision aussi explosive ? C’est une hypothèse, mais ce n’est pas la plus convaincante.

Une autre fuite a permis de révéler que le président de la Cour suprême, John Roberts, est en faveur d’un compromis qui couperait la poire en deux. Il serait prêt à valider la loi du Mississippi qui interdit l’avortement après 15 semaines de grossesse, tout en évitant d’annuler l’arrêt « Roe c. Wade ». Il s’agirait d’une pirouette juridique pour le moins audacieuse, compte tenu que cet arrêt empêche les États d’interdire l’avortement avant la viabilité du foetus, qui intervient entre les 22e et 24e semaines. Mais le juge Roberts ne serait pas à un compromis audacieux près, comme l’a démontré, au grand dam des conservateurs, sa décision validant la loi de Barack Obama sur la santé.

Dans un contexte où John Roberts tenterait d’attirer dans son camp au moins un juge conservateur, il n’est pas impossible qu’un individu dédié à l’abrogation de l’arrêt « Roe c. Wade » ait voulu que le public sache qu’au moins cinq juges conservateurs, dont Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett, ont voté en février dernier pour annuler la décision historique, question de les empêcher de changer de camp.

Le journaliste Adam Liptak, qui couvre la Cour suprême pour le New York Times, explore cette théorie dans un article où il cite des experts qui la défendent, dont Kermit Roosevelt, professeur de droit à l’université de Pennsylvanie. Celui-ci déclare, à propos de l’avant-projet de décision : « Pour ce qui est de savoir qui l’a divulgué et pourquoi, il me semble beaucoup plus probable que cela vienne de la droite en réponse à une défection réelle ou à une menace de défection de l’un des cinq députés qui ont voté pour l’annulation de Roe. La fuite de ce premier projet rend la chose plus coûteuse pour un transfuge, car les gens penseront désormais qu’ils ont changé leur vote après la fuite, en réponse à l’indignation publique. »

Richard Hansen, professeur de droit à l’Université de Californie à Irvine, voit un autre avantage pour la droite : « Ce type de fuite pourrait en fait aider la probable future majorité qui renversera Roe si elle détourne la conversation vers la question du secret de la Cour suprême et le danger des fuites pour la légitimité du processus. C’est mieux qu’une conversation sur l’illégitimité potentielle de l’annulation d’un précédent de longue date permettant le choix reproductif. Cela pourrait aussi avoir pour but d’adoucir le choc en signalant à tous le séisme à venir. »

Si vous avez d’autres théories à proposer, ne vous gênez pas.

(Photo Fred Schilling)