Le blogue de Richard Hétu

Rappel : en juillet 2013, Andrew Cuomo a mis sur pied une importante commission d’enquête sur la corruption endémique à Albany, capitale de l’État de New York, où les politiciens semblaient rivaliser d’imagination pour monnayer leur position ou financer illégalement leurs campagnes électorales. Mais le gouverneur démocrate y a mis fin de façon abrupte à mi-chemin, affirmant qu’elle avait déjà atteint son objectif. La vérité est que les enquêteurs commençaient à s’intéresser à ses propres actions douteuses ainsi qu’à celles de ses alliés politiques.

Autre rappel : la décision d’Andrew Cuomo de torpiller sa propre commission avait troublé et même indigné Preet Bharara (photo de gauche), qui occupait alors le poste de procureur fédéral du district sud de New York. Au point où il avait demandé aux enquêteurs de ladite commission de lui remettre tous leurs dossiers, afin de pouvoir examiner lui-même si des preuves de crimes s’y trouvaient.

Or, on apprend aujourd’hui, sous la plume du journaliste du New Yorker Ronan Farrow, que Cuomo a contacté, en avril 2014, une des principales conseillères de Barack Obama, Valerie Jarrett, pour se plaindre haut et fort de Preet Bharara. Selon une source de Farrow, Cuomo «gueulait et tempêtait» lors de l’appel téléphonique. «Ce type est hors de contrôle. C’est votre homme», aurait lancé le gouverneur à Jarrett, qui aurait mis fin à la conversation le plus rapidement possible avant de la rapporter au conseiller juridique de la Maison-Blanche. Jarrett a confirmé à Farrow que l’appel avait bel et bien eu lieu.

Objectivement, l’appel de Cuomo à la Maison-Blanche pourrait être considéré comme une tentative d’entrave à la justice. Si l’on apprend seulement aujourd’hui cet épisode, c’est que plusieurs langues se délient depuis la publication d’un rapport accablant sur les allégations de harcèlement sexuel visant le gouverneur de New York.

Le reportage de Farrow contient les premières déclarations publiques de Danya Perry, ex-procureure fédérale, sur son travail à la tête de l’équipe d’enquêteurs de la commission sur la corruption à Albany. « Il ne voulait pas d’une enquête sur l’origine illégale de ses propres contributions », a-t-elle déclaré au journaliste en expliquant la décision de Cuomo de torpiller la commission.

La représentante démocrate de New York Kathleen Rice, qui était alors co-présidente de la commission, a confié de son côté à Farrow : « Cuomo a stoppé des citations à comparaître qui allaient être adressées à ses amis et à ses partisans. C’était vraiment incroyable. »

Questionnées à savoir pourquoi elles vidaient aujourd’hui leur sac, Perry et Rice ont affirmé avoir déjà été menacées par Cuomo et des membres de son entourage, et qu’elles avaient vu les retombées de leurs représailles sur les carrières d’autres personnes. « Je les ai vus détruire des gens. Et je craignais vraiment que ça pourrait m’arriver », a dit Perry.

Cette peur n’existe plus, semble-t-il.

À noter que le nom de Preet Bharara revient souvent dans un document préparé par les avocats de Cuomo pour répondre au rapport présenté par la procureure générale de New York Letitia James. Le rapport est le fruit d’une enquête menée en bonne partie par un ancien adjoint de Bharara, Joon Kim. Les avocats de Cuomo ont fait valoir que Kim a cherché à nuire au gouverneur pour permettre à son ami Bharara de briguer lui-même le poste de gouverneur en 2022.

Bharara a déclaré qu’il n’avait aucunement intention de briguer le poste de gouverneur de New York. À propos de l’appel de Cuomo à la Maison-Blanche le concernant, il a confié à Farrow : « Andrew Cuomo n’a aucun scrupule, alors qu’il fait l’objet d’une enquête par le procureur fédéral en exercice du district sud de New York, à essayer d’appeler la Maison-Blanche pour me rappeler à l’ordre. Trump a fait ce type de truc. C’est une chose extraordinaire, de mon point de vue. »

(Photos AP et Getty Images)