Le blogue de Richard Hétu

Le tableau humain est éloquent en lui-même. Il immortalise le moment où le gouverneur républicain de Géorgie Brian Kemp a promulgué un projet électoral assimilé par ses critiques aux lois Jim Crow, celles qui ont jadis institutionnalisé la ségrégation raciale dans le Sud des États-Unis, sous le regard des chefs de file républicains des deux chambres du parlement du Peach State. Ces hommes blancs font partie d’un État où les Noirs constituent un tiers de l’électorat et où les femmes, bien entendu, représentent la moitié de la population.

Mais le tableau artistique qui sert de toile de fond à cette scène est aussi parlant. Il montre la résidence principale de la plantation Callaway, où plus de 100 personnes ont été réduites à l’esclavage avant la guerre de Sécession. Comme le rappelle le chroniqueur Will Bunch dans cet article, cette plantation se trouvait dans le comté de Wilkes, où les esclaves qui prenaient la fuite étaient habituellement poursuivis par des chiens. Il va sans dire que les personnes dans la photo qui coiffe ce billet se défendent aujourd’hui d’être racistes comme ceux qui ont adopté les lois Jim Crow ou d’entretenir la moindre sympathie pour les propriétaires d’esclaves qui lâchaient leurs chiens sur leurs esclaves désobéissants.

Ce que ne montre pas la photo, c’est l’arrestation de la représentante démocrate Park Cannon, inculpée pour obstruction criminelle après avoir cogné à la porte de la pièce derrière laquelle le gouverneur signait le projet de loi controversé et prononçait une allocution la justifiant. La loi réduit notamment le nombre de boîtes de scrutin où les électeurs peuvent déposer leurs bulletins de vote, durcit les exigences d’identification des électeurs pour le vote par courrier et permet aux parlementaires d’intervenir dans les élections au niveau local.

Cette dernière disposition aurait fait le bonheur de Donald Trump si elle avait été en vigueur durant l’élection présidentielle de 2020. En théorie, elle aurait permis aux élus républicains de rejeter des votes dans les comtés à fortes concentrations démocrates, comme le réclamait l’ancien président.

Comme je l’ai déjà mentionné dans un billet jeudi, la nouvelle loi transforme également en crime le fait de donner à boire ou à manger à un électeur qui fait la queue devant un bureau de scrutin. Comment ne pas voir dans cette disposition cruelle et arbitraire un lien avec le tableau artistique qui se trouve derrière le tableau humain de la photo coiffant ce billet?

P.S. : Joe Biden a qualifié de «Jim Crow du 21e siècle» la loi promulguée par le gouverneur Kemp. «C’est une atrocité», a-t-il déclaré aux journalistes devant la Maison-Blanche avant de partir pour le Delaware. «Si vous voulez une indication que cela n’a rien à voir avec l’équité, rien à voir avec la décence, ils ont adopté une loi disant que vous ne pouvez pas fournir de l’eau aux personnes faisant la queue pendant qu’elles attendent de voter. Vous n’avez besoin de rien d’autre pour savoir que ce n’est rien d’autre que punitif, conçu pour empêcher les gens de voter.»

(Photos AP)