Le blogue de Richard Hétu

J’ai été surpris, et un brin irrité, en découvrant hier une lectrice de ce blogue lancer dans la section des commentaires une accusation d’«appropriation raciale» contre Kamala Harris. J’avais déjà pris conscience d’une certaine campagne de la droite américaine, menée par Rush Limbaugh et autres commentateurs du même acabit, contre la sénatrice de Californie. Selon cette campagne, la candidate démocrate à la présidence tenterait notamment de se faire passer pour une «Noire» ou une «Afro-Américaine» et même une pauvre fille de ghetto alors qu’elle est en fait la fille d’un père jamaïcain et d’une mère indienne, ce qui ferait d’elle une «métis» ou une «Jamaïcaine/Indienne».

J’ai également découvert hier que cette campagne était encore plus insidieuse que je ne le pensais.

Comme l’indique l’illustration qui coiffe ce billet, des «bots» se sont activités sur Twitter pendant et après le débat entre les candidats démocrates à la présidence tenu jeudi soir à Miami. Débat largement dominé par la sénatrice de Californie, qui a notamment ébranlé Joe Biden lors d’un échange touchant la question raciale et dont tous les médias ont parlé.

Kamala Harris n’est «pas noire», «pas afro-américaine», elle est «Indienne et Jamaïcaine» et même «née au Canada», peut-on lire dans des messages similaires d’un compte Twitter à l’autre. Ces «bots» sont-ils russes? Pas nécessairement. Des Américains ont très bien pu s’inspirer de la campagne de désinformation russe de 2016 pour semer le doute ou une certaine hostilité au sein de la communauté afro-américaine ou même chez les Blancs qui ne verraient pas d’un bon oeil l’élection d’une femme de couleur dont les racines se trouvent en Jamaïque et en Inde.

Ce qui nous amène à la question de la façon dont Kamala Harris s’identifie. Elle n’emploie jamais l’expression «afro-américaine» pour parler d’elle. Elle se présente comme une «femme noire», élevée par une mère qui a été accueillie à bras ouvert par la communauté noire d’Oakland, et au sein de laquelle celle-ci a milité en faveur des droits civiques.

Dans ses mémoires, The Truths We Hold, la sénatrice évoque l’amour du jazz et du reggae qu’elle a hérité de son père, mais celui-ci a quitté sa mère alors qu’elle était encore enfant. Sa défunte mère, chercheuse spécialiste du cancer du sein, a enseigné à l’Université McGill et poursuivi ses recherches à l’hôpital juif de Montréal pendant quelques années. Son père est un professeur d’économie qui a enseigné à l’Université Stanford.

Kamala Harris a-t-elle droit de se définir comme une «Noire»? Sans aucun doute. Lors du recensement de 2010, Barack Obama avait le choix de cocher la case «noir», «blanc» ou «autre race». Il aurait pu cocher plus d’une case. Il n’en a choisi qu’une : «noir».

Mais sa mère n’est-elle pas blanche? Et n’a-t-il pas été élevé par ses grands-parents blancs? Plusieurs Blancs ont soulevé ces questions avec une pointe d’irritation dans la voix, comme s’ils voyaient le choix d’Obama comme un rejet de sa famille blanche. Dans le pays qui a donné naissance à la «règle de l’unique goutte de sang», ces questions, et surtout l’irritation qui les accompagne, relèvent d’un certain aveuglement, d’une certaine ignorance ou d’une certaine naïveté.

P.S. : Ce message d’un twitteur controversé a été repiqué par plusieurs comptes et retweeté (puis supprimé) par celui de Donald Trump fils :

Kamala Harris is *not* an American Black. She is half Indian and half Jamaican.

I’m so sick of people robbing American Blacks (like myself) of our history. It’s disgusting. Now using it for debate time at #DemDebate2?

These are my people not her people.

Freaking disgusting.

— Ali Alexander (@ali) 28 juin 2019