Le blogue de Richard Hétu

William Barr répondra peut-être à la question qui coiffe ce billet d’ici les prochains jours lorsqu’il remettra au Congrès une version expurgée du rapport de Robert Mueller sur l’enquête russe. Si les parties caviardées sont plus nombreuses et importantes que de raison, il sera accusé d’agir non pas à titre de procureur général des États-Unis mais d’avocat personnel de Donald Trump. En attendant, il n’a rassuré personne hier en indiquant qu’il n’emploierait pas tous les moyens à sa disposition pour donner accès au Congrès aux témoignages présentés devant le grand jury rassemblé par le procureur spécial, éléments cruciaux de l’enquête russe. Mais ce n’est pas la seule source d’inquiétude concernant William Barr.

Lors d’une audition devant une commission sénatoriale ce matin, le procureur général a confirmé qu’il se préparait à enquêter sur les origines de l’investigation du FBI sur la campagne de Donald Trump. Selon lui, cette campagne a fait l’objet d’«espionnage», un mot chargé qui fera plaisir au président et qui légitimera les théories du complot populaires au sein de la droite.

«Je pense que l’espionnage d’une campagne politique est une affaire importante. Je pense qu’il y a eu espionnage», a dit William Barr avant d’ajouter qu’il voulait savoir si cet «espionnage» était justifié.

De quoi parle-t-on au juste? Quand Donald Trump et ses alliés se plaignent d’espionnage, ils font généralement référence à deux affaires précises. L’une concerne une demande du FBI et du ministère de la Justice visant à obtenir la permission de surveiller Carter Page. Or, au moment où la demande a été formulée, Page n’était plus conseiller au sein de l’équipe de Donald Trump. On ne peut donc pas strictement parler de l’«espionnage» de la campagne de Donald Trump dans cette affaire. De toute façon, Carter était dans la ligne de mire du FBI avant même 2016.

L’autre affaire met en scène George Papadopoulos, qui a été approché par un informateur du FBI, Stefan Halper. Papadopoulos travaillait alors pour la campagne de Trump à titre de conseiller, mais Halper était à la recherche d’informations sur ce que le gouvernement russe manigançait, comme le rappelle Aaron Blake dans ce analyse. Si «espionnage» il y avait, il ne ciblait donc pas la campagne de Donald Trump mais le Kremlin. Mais même l’emploi du mot espionnage est contesté dans un tel contexte.

Bref, si William Barr voulait se faire aimer de Donald Trump, il n’aurait pas pu s’exprimer autrement qu’il ne l’a fait ce matin. Est-ce à dire qu’il confond le rôle de procureur général et celui d’avocat du président? Ce ne serait pas la première fois qu’il agirait ainsi, comme je l’écrivais avant-hier dans un texte intitulé «Comment torpiller une enquête».

P.S. : La réaction du président de la commission du Renseignement de la Chambre des représentants, Adam Schiff :

«Le plus haut responsable du département de Justice ne devrait pas laisser entendre de façon cavalière que les personnes sous ses ordres se livrent à de l’‟espionnage”. Ce type de discours partisan peut faire plaisir à Donald Trump, qui tempête contre un ‟coup de l’État profond”, mais il inflige un autre coup destructeur à nos institutions démocratiques.»

P.P.S. : À la fin de son témoignage, Barr a nuancé ses propos, prouvant qu’il est soit incompétent, soit malhonnête : «Je ne dis pas qu’il y a eu surveillance injustifiée. Je dis que je suis inquiet à ce sujet et que j’examine la chose.» Remarquez qu’il n’utilise plus le mot empoisonné d’«espionnage» dans cette remarque. Mais le mal est fait.

(Photo Getty Images)